Truites géantes d’Islande
La vie est remplie d’épreuves et de mauvaises passes à surmonter, alors quand Mickaël a commencé à me parler de truites géantes nageant dans les eaux islandaises, moi qui suis finalement assez peu intéressé par la recherche des salmonidés, je me suis dis que mettre un peu de parfum aux effluves de mucus et contempler ces couleurs nordiques d’adipeuses dans cette ambiance volcanique allait m’aider à aller de l’avant. L’Islande n’est qu’à quelques heures de vol et reste à l’intérieur de l’espace Schengen bien que se trouvant au nord du cercle polaire. Nous voilà donc partis en ce début du mois de juin alourdir de manière conséquente notre bilan carbone annuel dans l’espoir non pas de faire du nombre, mais de faire chanter nos freins et de faire tomber quelques records.
L’Islande est devenu un pays vraiment très touristique et l’affluence de touristes des quatre coins du globe est désormais plus que conséquente, il nous tarde de nous extirper de la foule pour enfin découvrir la mal bouffe islandaise et les grands espaces. Nous avons fait le choix de ne pas « mendier » des informations auprès de pêcheurs qui ont déjà réalisé ce trip. Cela dans une démarche habituelle de comprendre et trouver la pêche par nous même, mais nous savons que cela va nous coûter plusieurs précieuses heures à essayer des trucs puis corriger notre approche. Bien nous en a pris peut être, car forcés de constater que les quelques reports écrits en français que l’on peut lire ici et là sont au final assez mensongés… une tournure que je ne donnerai pas à ce report, par honnêteté intellectuelle sans doute.
Nous ne savons pas vraiment comment sont positionnées les truites suite aux températures clémentes des derniers jours, si en ce début de saison la nature est un peu en retard sur le vieux continent, ici elle semble en avance. Aucune activité n’est vraiment flagrante, il faut dire qu’ici les truites sont carnivores presque à 100% et se nourrissent soit de petites truites, soit d’Artic charr… ce qui explique la taille exceptionnelle que peuvent atteindre ces truites farios de l’âge de glace appelées « Ice age brown trout« . Une chaîne alimentaire qui nous semble assez fermée et simple et donc potentiellement assez facile à exploiter. De plus, la nuit en cette période est presque inexistante, il fait tout au plus brun de minuit à 3h00 du matin, ce qui ne permet pas vraiment de placer un coup du matin comme un coup du soir.
Les deux premiers jours sont consacrés à la cartographie des spots. Il nous faut faire le tri entre les spots productifs, improductifs, dangereux et faciles d’accès. Lors de cette prospection, nous ferons assez rapidement nos premiers poissons, truites fario comme artic char. Certaines pointes de roches sont vraiment très productives et chaque lancer est couronné d’un poisson, mais ces roches volcaniques sont vraiment hostiles aux bipèdes et chaque poisson peut nous faire prendre des risques inconsidérés. C’est en effet ce qui m’arrivera assez rapidement lors de la prise d’un Char, où je pourrai admirer la boîte contenant l’ensemble de mes leurres glisser le long de la falaise et sombrer par 2 mètres de profondeur… le séjour commence à peine et je viens de perdre presque l’intégralité de mes leurres, je vous laisse imaginer le sentiment de frustration qui m’envahi à cet instant…
Je n’ai pas vraiment le choix, en ce premier jour de pêche, le succès de mon voyage repose déjà au fond de l’eau… Être un globe trotter c’est avant tout savoir se démerder… et je ne suis pas vraiment du style à me morfondre ni me victimiser. Un peu d’huile de coude et d’ingéniosité, je parviens à me faire prêter un masque de plongée et me voilà à tenter une apnée en slip dans une eau à moins de 5 degrés… Je sors de l’eau plus que grelottant mais la boîte dans les mains, une sensation de plénitude m’envahie, comme si je venais de prendre mon premier gros poisson islandais. Il y a des gaffes qui vous procurent des souvenirs impérissables, celle ci en fera indéniablement partie.
Nos clôturons cette première journée de pêche mouvementée avec la prise de plusieurs poissons, de beaux Artic charr comme des truites allant jusque 55 centimètres. La pêche nous semble finalement plus productive que prévue et nous savons à peu près l’approche qui se dessine pour les jours à venir. Elle devrait se faire sur une grosse base de cuillères ondulantes avec des animations très séquencées. Pour ma part, c’est la Skoon fat 70 en 16,2 grammes en #SK02 qui est déjà nettement sortie du lot. Les lancers doivent être appuyés pour parcourir une distance maximale et les touches se produisent presque exclusivement à la descente. Nous avons bien du mal à comprendre comment ces poissons pourraient être déclenchés par des leurres de type minnow ou autre leurres souples avec les mêmes taux de réussite. Les quelques pêcheurs que nous croiserons lors de ce séjour pêcheront tous avec le même pattern d’ailleurs… Si je pêche en nylon en ce premier jour de pêche, je passerai tout le reste du séjour en tresse Sensibraid 8 brins 15/100 et Mickaël m’imitera également. Tout le secret de ce type de pêche réside en fait dans la canne à utiliser, elle doit être vraiment bien d’action regular afin d’éviter les décrochés car les truites ne lésinent pas sur les chandelles et les coups de boule dans les cailloux pour se défaire du leurre une fois piquées.
C’est déjà lors de ce second jour que le voyage allait tourner au succès pour moi. Nous arrivons sur un spot vraiment très joli et très prometteur en fin de matinée. Mickaël fait rapidement un Charr de taille modeste que je mets à l’épuisette, il semble y avoir plusieurs poissons sur le poste. Nous ne prenons de pas de photo et je m’attelle plusieurs minutes à démêler l’hameçon triple de Mick qui s’est largement emmêlé dans les mailles de mon épuisette. Pendant que je détricote, Mick prend un second Artic char qui se fait violemment attaquer pendant le combat, il n’a pas besoin de m’en informer, une chasse monstrueuse vient d’éclater en surface à quelques mètres de moi. Je laisse tomber l’idée d’épuiseter son second Artic char et lance ma Skoon 70 non loin de la chasse. Deux tours de manivelle et je vois un dos monstrueux percer la surface et venir m’arracher ma cuillère… Le rush est hallucinant de puissance, je ne peux tout simplement rien faire si ce n’est lever ma canne de 3 mètres le plus haut possible et attendre que le poisson se calme. Je reprends petit à petit la main sur le poisson, le combat s’achève en moins de 3 minutes quand Mick met ce bijou à l’épuisette tout juste démêlée. Voilà c’est fait… c’était court et tellement intense… une épuisette avec le charr (le chassé) et une autre à côté avec un monstre de truite fario dedans (la chasseuse). Une action de malade gravée à vie dans ma mémoire et un nouveau record truite qui dépasse les 80 centimètres, je plane… et j’ai au passage une brève petite pensée pour les frustrés qui souhaitaient que je me ramasse sur ce format de trip.
J’ai pêché de nombreuses espèces un peu partout sur le globe et je dois avouer que je reste scotché devant la puissance de ces poissons dans une eau si froide. Sincèrement, en terme d’explosivité, les grosses truites n’ont rien à envier aux Peacock bass et autres Aïmara.
Il ne faut pas croire qu’il suffit de monter en Islande pour prendre un poisson de cette taille, rien n’est jamais gagné d’avance et on est là vraiment sur un schéma de spécimen hunting. La météo tout comme l’activité sont des facteurs cruciaux avec lesquels il faut composer, au final tout se joue sur des détails bien souvent. Lors des longues phases où rien ne bouge, je prends un plaisir sans fin à m’allonger dans les lichens entre les boulots nains. La faune ornithologique est simplement démentielle ici…. Je passe de longues heures à admirer les espèces que je connais très bien comme les bécassines des marais et les grives mauvis et je suis fasciné par les performances des plongeons Huard qui chassent régulièrement sur nos spots. Il y en aurait tellement à dire sur les oiseaux ici, cela mériterait même de revenir exclusivement pour eux avec un objectif adapté. Sternes arctiques aux pirouettes remarquables, Chevaliers gambette au champ mélodieux, Courlis corlieu qui nous toiseaient sans cesse, Bécasseaux violets virevoltants, Huîtriers pie, Eiders à duvet, Bergeronnettes, Fulmars boréal, Pluviers dorés, Guillemots de troil… et que dire des la parade nuptiales des mâles de Lagopèdes… et j’oublie sûrement toutes mes observations de canards… pffff une biodiversité simplement magique qui rappelle la place qu’a pris l’homme au détriment de la biodiversité sur le continent.
L’étau se resserre autour des grosses truites et la taille moyenne de nos truites fario grossie de jour en jour, les poissons au dessus de 60 centimètres se succèdent et ne seront pas tous pris en photo en fonction de la gravité de leur état de santé. Chose qui n’est pas vraiment la préoccupation de tous les pêcheurs que nous croisons il semblerait… à commencer par les islandais pour qui un poisson n’a de valeur que les yeux vides, inerte sur du lichen. Ce qui ressort globalement de cette quête, c’est que nous sommes largement tributaires de l’activité des poissons qui est principalement dictée par la météo. Il faut s’arranger pour être au bon moment au bon endroit quand ça va se déclencher. Cela peut paraître simple mais ça ne l’est pas vraiment, il faut savoir rester statique de longues heures plutôt que de bouger sans cesse. Les journées blanches peuvent s’enchaîner mais cela peut s’enclencher à tout moment.
C’est également en début de séjour, le troisième jour plus exactement, que Mick dépassera à son tour la barre des 80 centimètres, un superbe bécard terriblement massif. Je sens dans son regard, ses intonations et son attitude que ce poisson le libère d’un gros poids. Si j’étais venu un peu en touriste avec comme seul objectif de profiter de la nature islandaise, lui s’était vraiment préparé mentalement avec des objectifs précis. La roublardise de ces gros poissons m’a vraiment scotché, une fois piqué ses gros sous marins n’hésitent pas à faire plusieurs chandelles tout comme chercher à casser le bas de ligne au détour de chaque cailloux. Il faut voir depuis sa falaise une grosse truite chercher chaque cailloux pour se défaire du leurre, une image assez dingue. En ce sens, nous n’avons pas pris de risque et nous avons pêché presque exclusivement avec une pointe en fluorocarbone 45/100. Amis moucheurs amateurs des pointes en 12/100, salutations.
Au cours de notre séjour, nous avons été contrôlés tous les jours par la garderie, voir plusieurs fois par jour… La gestion patrimoniale n’est pas vraiment bien mise en place mais les locaux ont très bien compris le potentiel économique de la pêche de tourisme. Ainsi les endroits où la pêche est « facile » sont tous privés et y pêcher se révèle très onéreux. Ce voyage aura été d’un coût plutôt très raisonnable, .
Quand la luminosité est forte, les poissons semblent largement s’écarter des bordures. A tel point qu’il nous devient presque impossible de pouvoir les pêcher du bord. A ce petit jeu, nous sommes obligés de sortir des jigs et cuillères effilés pour lancer à plus de 50 mètres et déclencher ces poissons dans plus de 15 mètres d’eau. Dans cette configuration, c’est la Skoon slim qui m’a permit de m’en sortir. Encore une fois, les poissons ne prenaient les leurres uniquement qu’à la descente.
La pêche des truites géantes est tout sauf reposant, la nuit ne faisant jamais vraiment son apparition, nous avons été obligés d’établir des statistiques au fur et à mesure du séjour afin de mieux pêcher. La plupart de nos gros poissons ont été pris en milieu de journée et toutes nos tentatives de pêches très tôt le matin ou tard le soir n’ont pas vraiment été fructueuses. Il semblerait que les truites lacustres, tout comme leurs consœurs de rivière, affectionnent davantage les conditions de faible luminosité et temps pluvieux. Hélas pour nous, si nous avions pris chacun plusieurs vestes imperméables, l’Islande n’a pas tenue sa réputation de journées aux quatre saisons et nous n’avons eu qu’un temps radieux. Un des facteurs qui explique sans doute le fait que nous n’aurions pas vraiment eu l’opportunité de prendre plusieurs paires de poissons géants.
Même si beaucoup de facteurs ont joué en notre défaveur, nous avons continué de pêcher non loin des truites géantes le reste du séjour. Pour preuve, ces poissons de plus de 80/90cm qui suivaient de temps à autres nos leurres ou encore qui suivaient les charr que nous prenions régulièrement et qui se débattaient en surface. Même si la pression de pêche semble dérisoire dans ces immensités, les poissons se méfient considérablement des leurres. Il faut beaucoup jouer sur le mauvais réflexe pour arriver à les déclencher.
Je repartirai d’islande, d’autant plus enchanté par la faune et la nature que par la pêche en elle même qui était finalement assez peu intéressante, très mécanique et chronophage… une vraie pêche de gros poissons quoi.
Je ne sais pas si j’y retournerai dans cette vie, étant données les échéances à venir vis à vis du réchauffement climatique, il ne fait nul doute que l’Islande sera une des futures terre d’accueil pour l’homme. Quoi qu’il en soit, à court terme, cette destination reste une valeur sûre si vous souhaitez faire tomber votre record truite et pourquoi pas tenter de tomber un poisson hors norme de plus du mètre, avec un peu de chance, de mental et de passion… tout est possible là bas.
N’hésitez pas à me contacter sur Facebook si vous voulez encore plus d’infos ou tout simplement pour parler pêche ! ;)
So many fish, so little time…